Communication au colloque Ethique et Handicap, espace éthique PACA Corse, Marseille, 4 avril 2025.
- erica2074
- 15 avr.
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S’épanouir en établissement ? Les facilitatrices, un nouveau métier pour faciliter l’expression des personnes.
Par Erica Lehmann, sociologue, consultante en organisation de la transformation de l’offre de service.
Depuis la publication du rapport du comité des droits des personnes handicapées de l'ONU en 2021 qui recommande purement et simplement de fermer les institutions dédiées à l’accueil et l’accompagnement des personnes en situation de handicap, car lieux de ségrégation, de discrimination et de privation de liberté, la question de la transformation de l’offre de service est au cœur de la réflexion des pouvoirs publics et de certaines associations gestionnaires. En témoigne le récent rapport de l’Inspection générale de l’action sociale publié en mars 2025 « Comment transformer l’offre médico-sociale pour mieux répondre aux attentes des personnes », tout comme la saisine de la Haute Autorité de santé sur l’élaboration des recommandations de bonnes pratiques professionnelles sur l’autodétermination et le pouvoir d’agir des personnes en ESSMS.
C’est dans ce contexte que j’ai réalisé pendant six mois un travail d’observation de la vie et du travail dans un foyer d’accueil médicalisé. Les résultats de ces observations ont mis en exergue combien les adultes qui vivent en établissement sont soumis aux enjeux de fonctionnement de l'institution du matin au soir, et du soir au matin. Ils n'ont que très peu la possibilité d'intervenir sur la plupart des actions qui les concernent : choisir l'heure de réveil, la personne qui va les doucher, le menu de leur repas, la prise d'un médicament, la sortie qu'ils vont faire, les personnes avec qui ils passent leur après-midi, etc. La logique de choix qui prévaut est celle du fonctionnement de l'institution. Pourtant, l'association gestionnaire en charge de l'établissement est particulièrement attentive à la qualité de son accompagnement et à l’épanouissement de ses résidents, et l’ensemble de ses services est toujours parfaitement noté lors des évaluations de la Haute Autorité de Santé.
Face à ce constat qui venait confirmer de manière détaillée ses craintes diffuses, sa direction générale a conçu un projet d’expérimentation, dans la rédaction et le déroulement duquel j'ai été impliquée, intitulé « Pouvoir d'agir et innovations organisationnelles ». Lauréat d’un appel à projet de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, il a été mis en place depuis 18 mois dans ses cinq établissements où vivent des adultes touchés par des handicaps neuromoteurs (paralysie cérébrale et handicaps équivalents jusqu'au polyhandicap). L'objectif de l’expérimentation est de trouver des solutions opérationnelles concrètes et rapides d'augmenter le pouvoir d'agir de ces adultes très dépendants et favoriser ainsi leur épanouissement dans ces institutions dans lesquelles ils ont vécu depuis toujours (l'épanouissement étant un état où une personne se sent en harmonie avec elle-même et son environnement). C'est d'ailleurs ce que promet le livret d’accueil des établissements pour les candidats à y vivre, « un épanouissement dans un lieu de convivialité et de socialisation proposant selon le type d'accueil un lieu de vie, des activités, des sorties et permettant de développer son mode de communication » ainsi qu’« un accompagnement quotidien des besoins liés au handicap (suivi médical paramédical psychologique et éducatif) ».
En quoi consiste l'expérimentation ? Dans chaque établissement, un petit groupe de trois à quatre personnes, appelé groupe d'expérimentation locale (GEL), se réunit une fois par mois pour que ses membres expriment un souhait individuel de modification d’une pratique dans leur accompagnement quotidien. Une intervenante extérieure à l'établissement anime ces GEL et aide les personnes à rendre leur demande d’action la plus précise et la plus explicite possible pour la remettre ensuite, en version papier, au directeur ou à la directrice de l'établissement afin qu'il ou elle recherche les modalités de la mette en œuvre très rapidement (une à deux semaines). Le reste du temps, deux à trois jours par semaine de 09h00 à 17h00, une nouvelle professionnelle est à leurs côtés : la facilitatrice. Qu’est-ce que sa présence révèle, renforce, permet ?
Les facilitatrices, comme elles le disent, sont des éléments perturbateurs du fonctionnement institutionnel. Que facilitent-elles ?
« J’ai peur d’écouter ce que j’ai au fond de moi » a dit un des premiers participants au tout premier GEL, Gwénaël, 23 ans, et cet aveu m’a frappée. Ce n’est pas pour valider par des références littéraires et universitaires la parole de Gwénaël, mais pour insister sur le caractère systémique de ce sentiment individuel, que je voudrais citer deux penseurs. En premier lieu le sociologue canado-américain Erving Goffman, qui travaillait sur la manière dont nos interactions contribuent à construire notre identité. Dans son livre Stigmates il a mis en évidence le fait que « l’infirme doit prendre garde à ne pas agir différemment de ce que les autres attendent. Et par-dessus tout ils attendent de lui qu’il soit infirme : invalide et impuissant, leur inférieur ». Quant au philosophe français Michel Foucault, dont les réflexions sur les institutions disciplinaires rejoignent celles de Goffman sur les Asiles (un autre de ses ouvrages de référence), il a mis en exergue le fait que lorsqu’on n’a plus d’autonomie et qu’on devient dépendant d’une organisation qui prend en charge tous nos besoins, on perd la possibilité de développer des « techniques de soi ». Les techniques de soi, c’est l’ensemble des processus par lesquels les individus établissent leurs propres règles de conduite et cherchent à se transformer et à s’épanouir.
Alors, qu’est-ce qui empêche Gwénaël de s’exprimer ?
Ce qui empêche l’expression des adultes qui vivent en institution
• « Je ne suis pas un égoïste » Milo, 24 ans : alors que Milo demandait à une aide-soignante de l’accompagner aux toilettes « Pourrais-tu m’accompagner aux toilettes s’il te plaît ? », l’A-S a dit : « Mais tu n’as pas à poser la question. C’est mon travail. Ordonne-le-moi ». Et Milo a répondu : « Mais non. Je ne suis pas un égoïste ». (comme me l’a raconté en entretien individuel l’A-S lors d’une enquête sur la question de l’auto-détermination en établissement)
Une personne très dépendante de l’aide humaine a peur de déranger les autres, d’abuser de leur sollicitude, d’avoir des demandes exagérées. Elle est très consciente que sans les personnes qui l’aident, elle est totalement démunie. Elle n’est pas en capacité de les contraindre. Elle doit développer des stratégies pour les amener à être bienveillantes à son égard. Sinon, le risque c’est de ne pas être entendu, ou de voir sa parole déformée
• « Hey, ce n’était pas ça, mon projet » me raconte en entretien individuel Maurice, 78 ans. Il a pourtant bien expliqué à cette professionnelle qu’il voulait aller seul au café. Mais elle l’a emmené en voiture (il aurait préféré y aller en fauteuil mais elle a jugé la route trop longue), jusqu’au café, puis elle l’a accompagné dans le café, l’a aidé à commander, est restée à ses côtés tout le temps, puis l’a ramené au foyer. Par souci de la sécurité de Maurice, par peur qu’il « parle mal aux gens », elle ne l’a pas laissé faire ce qu’il avait demandé après l’avoir pourtant validé.
• D’ailleurs, comme le dit Vicki : « Demander si on a le droit de sortir, ce n’est pas adulte, ça ne fait pas adulte ». Vicki a 22 ans, elle veut aller faire un tour au Monoprix qui est à quinze minutes en fauteuil de l’établissement. Comme je l’ai observé, elle doit faire une demande auprès de l’éducatrice spécialisée qui va lui donner des conseils (que Vicki n’a pas sollicités) et intervenir en essayant de transformer la sortie en exercice pédagogique (« Tu pourrais y aller avec des camarades »).
• « Je ne veux pas chambouler l’organisation » m’a expliqué Louise, 28 ans, en entretien individuel. Comme Louise a besoin de plus de temps que celui alloué aux sorties, deux heures entre la fin des toilettes et le déjeuner, elle renonce à son envie de faire une sortie bien plus longue. Elle renonce même à la formuler, cette envie de sortie. Elle a incorporé la hiérarchie des priorités institutionnelles et ça lui coupe même l’envie de dire. C’est une dépense d’énergie qu’elle n’a pas le courage de faire.
• Le courage de dire est parfois nécessaire car il peut être risqué de s’exprimer : « Normalement, c’est une douche par jour, et tu as déjà de la chance qu’elle ne soit pas froide » Marie, 35 ans, à Marco. Quand Marco a dit qu’il avait envie d’une deuxième douche parfois dans la même journée, une professionnelle l’aurait ainsi menacé allusivement. Je ne sais pas si elle l’a vraiment dit, ce sont des propos rapportés par Marco. Mais ce que j’affirme c’est que c’est la peur des représailles qui a convaincu Marco de ne plus demander. Et de se renfermer sur lui-même.
• Car « ici, il n’y a personne avec qui s’exprimer. C’est ce qui manque » dit Max, 27 ans. Quand l’intervenante extérieure a proposé à Max de participer au GEL, il a décliné l’invitation. Il a dit qu’il ne voulait pas venir parler avec les autres parce qu’il est « plutôt réservé (…). Ici, je ne parle pas de mes problèmes personnels. Avec Martin [un autre résident), je parle de jeux vidéo ». Et de conclure : « Les amis, c’est à l’extérieur (…) et puis, je n’aime pas les groupes ».
Récapitulons donc quelques raisons qui empêchent les personnes de s’exprimer :
· la crainte de perdre la bienveillance des aidants à son égard,
· la frustration de voir sa parole déformée,
· la vexation de se voir traité de manière infantilisante,
· le découragement en réalisant l’énergie à déployer si son envie ne s’inscrit pas dans la routine habituelle,
· la peur des représailles,
· l’absence d’interlocuteur de confiance.
« Elle facilite de dingue… »
Après 18 mois de présence dans les établissements auprès des personnes, qu’en est-il de l’action des facilitatrices ? D’après Célestin, au sujet de la professionnelle qui intervient dans son foyer d’accueil médicalisée, elle « facilite de dingue ». Qu’est-ce qui permet à la facilitatrice de faire émerger, soutenir et accompagner l’expression des personnes ?
· « Elle n’est pas dans le nursing ». En effet, le projet « Pouvoir d’agir et innovations organisationnelles », avait initialement prévu de recruter en externe des éducateurs et éducatrices spécialisées pour assurer la mission de facilitation de l’expression des personnes. Mais les seules candidatures, des candidatures spontanées en interne, ont été celles d’aides médico-psychologiques et d’accompagnantes éducatives et sociales. Ces dernières avaient été très intéressées par les présentations du projet auprès des professionnels faites par la direction générale et les différentes intervenantes (l’animatrice des GEL et l’experte en auto-détermination et formatrice des facilitatrices) et se sentaient une sensibilité et une appétence réelle pour aider au développement du pouvoir d’agir des personnes. D’autre part, l’idée d’arrêter les toilettes et de bénéficier d’horaires plus compatibles avec leur vie de famille les attirait aussi. Ces candidates avaient aussi la particularité de se sentir des « électrons libres » (cf. entretien individuel) par rapport au reste des équipes.
Ne plus faire de toilettes ni d’accompagnement au repas permet à la facilitatrice de ne pas être soumise au rythme des horaires d’internat et des enjeux de collègues. Mais aussi elle n’a plus ce contact intime, trop intime, avec les personnes. « Je redécouvre ce qu’est accompagner la vie des personnes ! ».
· « Elle ne va pas répéter aux pros » : la facilitatrice ne participe pas aux réunions des autres professionnels. Elle n’assiste pas aux réunions de transmissions entre l’équipe du matin et celle de l’après-midi. Or, les résidents, qui en sont exclus, sont convaincus que les professionnels profitent de ces temps pour « parler dans leur dos ».
De plus, la facilitatrice veille à « ne pas copiner » avec les professionnels car elle sait que les personnes sont très sensibles à l’idée que l’on parle d’eux, qu’on diffuse « des commérages » - c’est en tous cas leur représentation. La facilitatrice gagne ainsi leur confiance.
· « Elle dépend du siège » : afin de la rendre indépendante du fonctionnement de l’établissement, la facilitatrice est recrutée, formée et managée par la direction de l’offre de service du siège de l’association. Son supérieur hiérarchique n’est donc pas le directeur ou la directrice des établissements où elle intervient. Cette indépendance locale lui permet d’être en posture d’accompagner la personne à relancer la direction d’établissement quand sa demande d’action formulée en GEL n’avance pas ou qu’elle n’est pas mise en œuvre de la manière dont elle avait été formulée. La facilitatrice peut aussi librement dire aux résidents qui se censurent pour éviter de « chambouler l’organisation » que ce n’est pas leur « problème, mais celui de la direction ».
· « Avec elle ça ne va pas traîner » : la facilitatrice a pour mission de rendre audible l’expression des personnes. Si elle n’a pas la mission de mettre en œuvre leurs demandes, en revanche, elle porte leur voix. Les résidents ont ainsi le sentiment que leurs attentes ne sont pas glissées sous le tapis mais qu’elles restent à l’esprit de tout le monde. Même s’il faut toujours rester patient…
· La facilitatrice ne fait « pas de tri dans les demandes ». Elle ne juge pas de l’opportunité d’une demande, de sa faisabilité, de sa légitimité. Elle ne prononce aucun jugement. Par exemple, quand Michaël a répété encore qu’il voulait passer son permis de conduire, la facilitatrice n’a pas eu l’attitude des autres professionnels qui répondaient que quelqu’un comme lui en fauteuil et malvoyant ne pouvait pas. Elle a vérifié avec Michaël quelles étaient les procédures à suivre, l’a aidé à prendre rendez-vous avec le médecin agréé par le préfet. Elle ne s’est pas substituée à l’autorité légitime (en particulier aux yeux de Michaël) dans le souci vertueux de lui épargner une perte de temps et d’argent. Et quand la réponse négative lui a été annoncé « il n’en a pas du tout été malheureux. Les échecs font partie de la vie. Il est passé à autre chose » raconte-t-elle en entretien. La facilitatrice veille à ne pas avoir une attitude de surprotection qui a pour conséquence de survulnérabiliser les personnes, et de les frustrer. De ce fait, elle ne le maintient pas non plus dans la résignation. Il est pleinement acteur et peut agir pour trouver une nouvelle solution, plus adaptée et satisfaisante.
· « Elle ne cherche pas à s’immiscer dans ma vie privée » : la facilitatrice ne s’autorise pas une familiarité que les personnes vivent très mal. Simon me raconte ainsi en entretien qu’il est très énervé : une professionnelle, en voyant une photo de la personne qui l’appelait apparaître sur le téléphone de Simon, s’est mise à la titiller pour savoir qui elle était. « Mais si tu ne veux pas parler… il y a des choses qui sont personnelles. Tout le foyer va être au courant. (…) Et il y en a qui insistent. La facilitatrice ne fait pas ça. Elle me laisse tranquille. Elle ne dit pas « tu sais que tu peux me le dire » ou « ne me mens pas » ». La facilitatrice cultive la bonne proximité.
· Enfin, la facilitatrice n’a pas de contact avec les familles. « Moi, y’a des trucs que je n’ai pas envie de dire aux parents. Elle ne va pas répéter » dit Simon. La facilitatrice précise : « Pour une fois que les résidents ont un truc pour eux, ils ne veulent pas que leur famille soit au courant. Souvent, ils s’empêchent de faire des choses pour que leur famille ne sache pas ». Ce ne sont pas forcément des choses secrètes ou gênantes, ce sont en revanche des choses que l’on estime n’appartenir qu’à soi.
Les difficultés des facilitatrices
Cependant, les facilitatrices se trouvent aujourd’hui, après 18 mois d’expérimentation, confrontées à un certain nombre d’obstacles et de questionnement quant à la pleine réalisation de leur mission.
· Les facilitatrices sont isolées : c’est une de leurs forces mais c’est aussi parfois difficile à vivre. Les réunions avec les autres facilitatrices et leur responsable n’ont lieu qu’une fois par mois. Le reste du temps, la facilitatrice se sent seule avec ses questions face à des collègues qui ne les épargnent pas de leurs critiques. La direction se plaint : « encore des demandes ». Les anciens collègues pairs l’accusent « d’en faire trop pour les résidents ». Le fait d’être là pour écouter, appuyer des demandes, c’est « être payée à ne rien faire » pendant que les autres « triment dans les douches ». Et puis, c’est à la facilitatrice qu’on adresse les critiques du projet : « les gens sont agités après les GEL » affirment les professionnels. Enfin, son attention particulière aux participants des GEL « crée des jalousies entre les résidents », ce qui est régulièrement l’argument opposé par les professionnels à l’individualisation des accompagnements (et on peut noter combien cette formulation est révélatrice de l’infantilisation des personnes).
· Elles ne maîtrisent pas tous les codes de communication : les facilitatrices ne sont pas encore assez formées aux différents modes de communication alternative et augmentée. Elles regrettent également de ne pas disposer d’accompagnement à l’expérimentation pour développer leurs interactions avec les personnes dont jusqu’à aujourd’hui personne n’a saisi (voire cherché ?) la manière de s’exprimer. Les facilitatrices révèlent ainsi une faille importante de l’accompagnement des personnes en établissement : le recueil systématique des besoins et des modalités de communication n’est pas suffisamment fait.
En revanche, les facilitatrices reconnaissent qu’en passant du temps à concentrer leur attention sur les résidents depuis 18 mois, elles les comprennent beaucoup plus et bien mieux, y compris des personnes qu’elles connaissaient pourtant de longue date lorsqu’elles exerçaient comme AMP ou AES auprès d’elles.
· Les journées des facilitatrices en établissement « sont parfois longues et plates » : être disponible et accessible est une posture d’attente. Parfois, personne ne les sollicite. Les facilitatrices souffrent de se sentir et de donner l’impression aux autres professionnelles d’être passives, de « ne servir à rien ». Mais elles ne veulent pas non plus interpeller les personnes pour avoir enfin quelque chose à faciliter… Il manque probablement une formalisation de la contractualisation du tandem facilitatrice/personne accompagnée.
· Les facilitatrices souffrent du « manque d’action » : Les facilitatrices n’ont pas pour mission de répondre aux demandes des personnes. Quel est alors le résultat concret qu’elles peuvent produire comme preuve de leur travail ? comment rendre compte de l’effet de leur mission ? C’est encore un chantier que de définir la mesure d’impact de leur mission.
Ce qu’on ne disait pas avant la facilitatrice…
Le caractère expérimental du projet « Pouvoir d’agir et innovations organisationnelles » implique un tracé de ce qui est observé. Il apparaît clairement que la présence d’un tiers, disponible, bienveillant, « électron libre », qui n’émet aucun jugement, a libéré la parole des personnes.
Voici un petit florilège des demandes qui sont formulées par les personnes et qu’elles n’avaient ni l’espace, ni le moyen, ni l’envie ou le courage de dire.
• « Je voudrais manger seul dans ma chambre »
• « Je voudrais commander un repas de l’extérieur pour changer »
• « Je voudrais choisir à côté de qui m’asseoir pour déjeuner »
• « Je voudrais une carte bleue »
• « Je voudrais sortir seul quand je veux »
• « Je veux regarder ce film et je veux le regarder jusqu’à la fin »
• « Je voudrais avoir du temps le matin pour me réveiller paisiblement avant la toilette »
• « Je ne veux pas faire de sieste »
• « J’aimerais changer la couleur des murs de ma chambre »
• « Je préfèrerais choisir le professionnel qui me douche »
• « Serait-il possible de pouvoir demander à un autre professionnel de m’accompagner aux toilettes quand mon référent est en pause ? »
• « Je voudrais que la directrice vienne passer des moments dans mon unité voir comment ça se passe »…
En conclusion
• La facilitation humaine de l’expression des personnes en situation de handicap qui vivent en établissement est la condition de possibilité d’une authentique communication. Il n’y a pas de communication sans facilitation. Toute communication est interdépendante et relationnelle. Nous dépendons des connexions pour partager des mails, de la médiation des stylos ou des claviers pour écrire. La communication est un processus de construction collective et incarnée. Quand l’accès à l’outil est impossible, la facilitation humaine n’est pas un luxe mais la condition de possibilité d’une communication libre.
• La facilitation humaine de l’expression construit une conception partagée du temps. La facilitatrice a pour mission d’être disponible, à l’écoute. Elle doit donc adopter le tempo des personnes. Elle n’impose pas un rythme mais s’accorde à ceux de ses interlocuteurs. Elle recherche avec eux l’harmonie, condition indispensable à l’épanouissement.
• La facilitation humaine est une interaction d’apprentissage réciproque. C’est en s’exprimant sous l’attention bienveillante de la facilitatrice, qui n’a ni objectif de rendement ni attendu particulier, que peuvent se développer les techniques de soi des personnes. Et il s’avère que ce développement est interactif : la facilitatrice et son interlocuteur sont en réflexivité, ils sont attentifs à eux-mêmes, à ce qu’ils font et pourquoi. Comme le dit une facilitatrice : « on est au même niveau, sur le même chemin ».
• Communiquer, être en harmonie avec quelqu’un, nouer une relation de partage horizontal : un bon début pour s’épanouir… même en établissement !...
• Dans le cadre du Projet Pouvoir d’agir et innovations organisationnelles, l’« utilité sociale » des facilitatrices est pleinement révélée. Cette notion d’utilité sociale est mobilisée par le rapport Piveteau de 2022 qui souligne que celle-ci consiste pour les professionnels de l’accompagnement « à se mettre, aux côtés de personnes, au service de la transformation inclusive ». Les facilitatrices exercent donc bien un de ses « métiers à la carte » appelé de ses vœux. Le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales publié en janvier 2025 ne s’y trompe pas en préconisant de « généraliser l’accès de toute personne à des facilitateurs (professionnels venant en soutien des PSH pour s’orienter et construire leur projet) dotés de compétences communes et d’une indépendance garantie à l’égard de tous les autres acteurs, publics et privés ».
Les facilitatrices telles que les a déployées le projet Pouvoir d’agir sont payées par le budget de l’établissement mais volontairement placées en dehors de sa hiérarchie. L’établissement n’est ainsi plus juge et partie. Le service qui manage et gère les facilitatrices, la direction de l’offre de service, est aussi celui qui contrôle les réponses et plans d’action conçus et mise en œuvre par les directions d’établissement. Grâce à cette transformation organisationnelle, le rôle de l’établissement est donc bien de structurer l’offre de service pour répondre aux demandes et besoins des personnes, qui disposent de l’aide humaine pour s’exprimer et pour vérifier la qualité de la réponse qui leur est apportée.
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